Spiritisme

EMILE TIZANE, LE GENDARME CHASSEUR DE FANTOMES MADE IN FRANCE.

« Officier d’intelligence moyenne, travaille consciencieusement, a des connaissances générales convenables, s’intéresse aux sciences occultes ». C’est le genre de rapport presque banal qui accompagne le dossier du gendarme Emile Tizané.

Je dis bien « presque banal », car la dernière partie du paragraphe ( « s’intéresse aux sciences occultes ») relève le niveau : c’est celle qui nous intéressera ici, et que Philippe Baudouin traite dans le livre « Les forces de l’ordre invisible », publié aux éditions Le murmure. A la lecture de cette note rédigée par un de ses supérieurs,  il est possible de se faire une idée du combat quotidien que mena cet homme, lorsque ses activités de « ghosthunter » furent rendues publiques…

Ce livre coûte 39 euros, mais il est beautiful.

Ce gendarme arpentera les bleds paumés de France et de Navarre pendant 50 ans, accourant à chaque signalement de phénomène surnaturel se produisant au sein des foyers. Car oui, il deviendra un spécialiste des maisons dites hantées : il étudiera environ 300 cas de hantise dans toute sa carrière.  A partir de sa première enquête chez la famille Rozier en 1930, il amassera des preuves de façon obsessionnelle pour faire reconnaître juridiquement ces manifestations.

Souvent en marge de sa hiérarchie, il effectuera ses recherches avec une discrétion toute relative car  « on ne croit pas encore aux fantômes dans la gendarmerie ». Tel un héros solitaire, il se fixera comme mission de rétablir le calme sur les lieux hantés par tous les moyens légaux. Toute sa vie professionnelle, il souffrira d’un manque de reconnaissance de la part de ses pairs, malgré de multiples tentatives pour alerter la gendarmerie sur le sujet. En vain. Peu lui importe. On  doit  lui reconnaître une persévérance incroyable car il consacrera une partie de son existence au paranormal, même si fatalement « cette enquête devra être considérée comme n’étant jamais terminée ».

1-QUI EST IL?

Fils d’un gendarme et d’une ménagère, il nait le 29 juin 1901 en Algérie. C’est dans ses jeunes années,qu’il commença à se prendre de passion pour le surnaturel. Il découvrit le spiritisme, la télépathie… Il pratiqua les tables tournantes, le oui-ja ou encore l’écriture automatique. Il fut probablement convaincu du bien fondé de ces pratiques, le jour où il réussit à communiquer avec l’esprit d’un ami décédé. C’est peut être là que naquit sa vocation de chasseur de fantôme, qui sait?

Bon, toutes ces expériences, c’est bien sympa, mais dans le monde réel, il faut travailler. Après quelques allers retours entre la France et son pays natal, il intègre l’Ecole des officiers de Versailles en 1928, où il sera poussé bon gré, mal gré vers la gendarmerie. Bien qu’un peu dégouté, il décida d’en tirer profit pour s’adonner à la chasse aux fantômes : « J’appartenais donc à la gendarmerie mais, déçu à l’origine, j’étais prêt à profiter de mes fonctions pour m’adonner immédiatement à une tâche passionnantes entre toutes : les enquêtes dans les maisons hantées ». C’est ainsi qu’il commença sa double vie, à savoir, gendarme le jour et ghosthunter la nuit. Côté vie amoureuse, ses activités ne l’empêchèrent pas de prendre Jeanne Bidaud pour épouse en 1932 et d’avoir 3 enfants.

Coucou, c’est moi Emile Tizané. Photo issue du livre « Les forces de l’ordre invisible » éditions le murmure.

Sa première affaire surnaturelle a lieu en 1930, chez les époux Rozier et leur fille Marguerite. Pour lui, les faits sont là : on trouve des objets brisés, la jeune fille porte des traces de coups. Et ce cas fut le premier d’une longue série. Obnubilé par le maintien de l’ordre, il cherchera à ramener le calme chez les familles vivant ce qu’il qualifiera  des « petites hantises ». Ses investigations hors normes ne sont pas sans conséquences sur sa vie privée : elles contaminent même sa vie familiale, comme il l’avoue lui même : « Chaque fois que j’entreprends l’étude d’un nouveau cas sérieux, je note chez mes enfants des insomnies totales… Dès que j’abandonnais ou que j’avais terminé mon travail, mon fils reprenait ses nuits de sommeil ».

Dans la deuxième partie de sa vie, il publiera de nombreux ouvrages grâce aux informations collectées lors de ses recherches :

-1951 : « Sur la piste de l’homme inconnu ».

-1962 : « L’Hôte inconnu dans le crime sans cause ».

-1971 : « Il n’y a pas de maisons hantés? Journal d’un enquêteur incrédule de 1925 à 1933 ».

-1977 : « Les Apparitions de la Vierge : un enquêteur laic s’interroge », « Le Mystère des maisons hantées ».

Emile, l’écrivain. Photo issue du livre « Les forces de l’ordre invisible » éditions le murmure.

-1980 : « Les Agressions de l’invisible : voyage entre deux mondes ».

A sa retraite, il continuera à s’intéresser au domaine de l’étrange et surtout à l’ufologie. Malheureusement, les manifestations bizarres reprennent de plus belle à son domicile. Il aura même des coups de fil d’un extraterrestre qui lui ordonnera d’écrire un livre sur lui. Normal. Peut être est ce également lié à ses fréquentations douteuses, comme sa pote, la médium Rolande, qui ne le lâchait pas d’une semelle.  Il meurt d’un cancer en 1982.

Elle est chelou cette Rolande… Photo issue du livre « Les forces de l’ordre invisible » éditions le murmure.

 

2-LE PIONNIER DE l’INVESTIGATION PARANORMALE.

Cela peut paraître incroyable, mais les histoires de maisons hantées sont encore bien vivaces dans la France rurale de la première moitié du 20ème siècle : la sorcellerie et les fantômes font partie du paysage. Des incendies qui ravagent des fermes sont attribués à des forces occultes, comme dans l’affaire de la famille Flet, qui a eu lieu à Raucourt dans la Somme en 1942.

C’est sans doute pour être plus proche du quotidien de la population, en bon gendarme qu’il était, qu’il se concentrera sur ce qu’il appelle « les petites hantises » et délaissera les histoires légendaires de châteaux hantés qui font partie de la famille « des grandes hantises« .

Pour lui, « les petites hantises » sont « l’ensemble des manifestations occasionnelles » « pouvant être de très courte durée provoquées par un poltergeist ou l’un de ses semblables ». C’est une force qui s’installe dans un lieu, dans l’intention de faire du mal. L’esprit, tel un délinquant peut provoquer des phénomènes aussi bien en intérieur qu’en extérieur : projectiles qui cassent des toitures, objets brisés,  coups et plus rarement incendies de logements. Dans sa vision du paranormal, deux types de forces coexistent : la Délinquance ( menaçante comme le poltergeist) ou la Prévenance ( bienveillante comme les apparitions de la Vierge).

Bof, aucun interêt pour Tizané…

Au cours de ses investigations, Tizané relèvera quelques caractéristiques communes aux maisons hantées comme : des coups sourds frappés, des portes qui s’ouvrent, des bruits divers (des pas…), des paroles humaines, des cris d’animaux, un souffle glacé, des odeurs, des objets déplacés qui peuvent passer à travers les murs, des personnes projetées, des pluies de projectiles sur la maison…

Pour le gendarme, il n’y a pas de doute : il faut prendre en charge ses manifestations hostiles car leurs conséquences sont réelles. En voici quelques unes :

-l’abandon du logement ( comme ce fut le cas de  la famille Rozier qui déménagea pour échapper aux phénomènes d’hantises),

-les victimes déposent une plainte contre « Inconnu »,

-les « hantés » portent plainte contre une personne dont on soupçonne qu’elle est à l’origine des troubles ( plainte contre quelqu’un ayant jeté un sort par exemple),

-enfin, dans le meilleur des cas, les phénomènes cessent d’eux mêmes et la situation s’arrange pour les habitants.

Pour combattre les fantômes récalcitrants, il se lance alors dans une quête quasi impossible : prouver ce qui se manifeste de façon invisible. Tel un loup solitaire, il réalise ses enquêtes pour son propre compte, sans rémunération à la clef. Pour la beauté du geste en fait. Au fur et à mesure, il développera de véritables techniques d’investigations qui sont sans surprise, un savant mélange des méthodes utilisées en gendarmerie et en spiritisme : l’écriture automatique, l’hypnose, le oui-ja, le recueil de témoignage, l’étude comportementale, les techniques d’interrogatoire ou encore la photographie.

Le gendarme a de l’espoir car il souhaite donner naissance à des forces de l’ordre idéales, celles qui arriveraient à voir l’invisible. C’est bien d’avoir essayé mais sa tentative se solda par un bide monumental.

3-UN ENQUETEUR OBSESSIONNEL.

Tizané se lance dans un créneau qu’il est le seul à occuper : apporter des réponses policières et juridiques à des phénomènes paranormaux. Pour arriver a ses fins, il se base sur l’article 64 du Code Pénal « Il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action ou lorsqu’il était contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ». Etant donné qu’un humain est souvent au centre des phénomènes occultes, ce dernier serait irresponsable, car manipulé par une entité surnaturelle qui le dépasse. Ainsi, l’esprit frappeur s’apparente à un délinquant, qu’il faut traiter comme tel.

Son arme principale pour convaincre sa hiérarchie de l’utilité de sa démarche est l’accumulation d’archives de toutes sortes : notes numérotées avec cachet de l’auteur ( à la façon des archives judiciaires), croquis, procès verbaux, liste des témoins,  Cette obsession dans l’accumulation de documents le mènera à la limite de la folie, quitte à tout détruire. Dire qu’en juillet 1944, il pensa jeter ses dossiers au feu… Cela aurait été un beau gachis…

Quand je vous dit qu’il accumulait des archives… Photo issue du livre « Les forces de l’ordre invisible » éditions le murmure.

Outre la publication d’ouvrages à partir des années 1950, il dressera une carte de la France hantée grâce à la compilation d’informations venant des journaux ou encore des casernes.

Il cherchera à tout prix à ce que ses preuves soient crédibles pour sa hiérarchie car son but était de  » réformer le système de l’intérieur, quitte à retourner ses propres armes contre lui ». Il fit une tentative en 1937, en faisant un rapport à ses supérieurs  sur « la nécessité qui parait s’imposer de soumettre aux officiers de l’Armée la solution à adopter pour mettre fin dans certains cas à des phénomènes dits « occultes » ». Malheureusement pour lui, il se heurta à un mur et son initiative se solda par un gros flop. Pauvre Tizané…

4-LE CAS QUI AURAIT PU LUI APPORTER LA GLOIRE : FRONTENAY-ROHAN-ROHAN.

Ce 26 novembre 1943, notre gendarme est alerté d’une affaire de maison hantée dans un endroit au nom improbable, nommé Frontenay-Rohan-Rohan. Grâce à cet appel, il sent qu’il peut enfin toucher les étoiles : il veut être présent sur les lieux dès les premières manifestations du poltergeist. Ce cas sonne dans la tête de Tizané comme l’heure de la reconnaissance tant attendue. Il pourra peut être stopper par la même occasion, les railleries qu’il entend quotidiennement au boulot. Pour une fois, il obtient  l’autorisation de sa hiérarchie pour se rendre chez la famille Auché. Il est temps car tout le village est en émoi.

Welcome à Frontenay-Rohan-Rohan les gars.

En effet, les manifestations à Frontenay-Rohan-Rohan se multiplient. Un manteau se promène, les boites dansent, un fourneau à charbon se déplace, le sucre marche, une fillette est prisonnière de ses draps etcLa chaise de la jeune fille a même été soulevée dans les airs et des mains invisibles l’auraient projetée sur le sol. Tizané prend cette affaire au sérieux et se donne à 100%. Il décide donc de passer une première nuit sur place. Lors de son enquête, Tizané observera :

-un déplacement d’un moulin à café et d’une boite de métal,

-la destruction d’abat jour,

-la disparition de ses gants et de sa cravate,

-la lévitation de son képi.

Dans un premier temps, il essaie de confondre un éventuel mystificateur. Il a de sérieux doutes sur la fille du couple Auché, Ginette, 15 ans. Pour lui, l’adolescente  semble catalyser autour d’elle tous ces phénomènes.  Il pense qu’elle « sert d’intermédiaire dans la maison hantée au même titre que le médium ». C’est « le sujet épicentre ».

Pour faire de la psychologie à deux balles,  on constate que le gendarme a du mal avec les jeunes filles. Il les tient souvent pour responsable des dégâts provoqués dans les maisons hantées. Leurs prétendus pouvoirs médiumniques ébranlent le foyer et alimentent ainsi , sa vision rétrograde de la femme . Pour information, il arriva à expliquer les comportements exhibitionnistes d’un homme en mettant en cause des fillettes (qu’il juge dépravées) qui auraient pris le contrôle de son esprit. Donc, rien d’étonnant à ce que la petite Ginette soit dans sa ligne de mire…

Pour la tester, Tizané lui fait faire de l’écriture automatique et du oui-ja. Et cela semble fonctionner.  Un esprit masculin laissa comme message pour la grand mère : « Je la tuerai au coin d’une rue… Je lui ferai gallipète… Je veux la battre à grands coups de balai… Je veux qu’elle souffre… Je voudrais que Ginette danse toute nue, tout de suite ».

Petit vicieux! Photo issue du livre « Les forces de l’ordre invisible » éditions le murmure.

Après ce message, la table de oui-ja se renverse et laisse un message qui mettra un point final aux phénomènes paranormaux : « Je veux que vous restiez toute la nuit; si vous partez, je casse tout; je vous dit qu’il ne se passera rien dans le nuit, vous pouvez dormir tranquille ». Ginette sera écartée de la maison le lendemain. Elle avouera à un psychiatre avoir été à l’origine des phénomènes,  pour se rétracter ensuite. Tizané souhaite faire jurisprudence avec Ginette et l’article 64 du Code Pénal à savoir : « Il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action ou lorsqu’il était contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ». . Mais il récupère juste un avertissement du commandant de Légion. Voilà.

La Guerre Mondiale de 1939-1945 ne stoppe pas les recherches du gendarme. Malgré une étroite surveillance par Vichy de tout ce qui touche au paranormal, on peut voir un regain d’intérêt pour l’occulte dans la population ( dans l’espoir de compenser les craintes liées à la guerre sans doute). C’est lors de cette période noire que l’on peut voir une facette plus sombre de notre chasseur de fantôme.

5-LE VERITABLE COTE OBSCUR DU GENDARME.

Dans ce dernier paragraphe, je vais un peu casser l’ambiance, mais c’est important de faire un rapport complet sur le personnage. En 1944, en tant que gendarme, il enverra au camp de concentration d’Auschwitz, la jeune Ida Grinspan, 14 ans. En effet, la brigade du capitaine Tizané a été mobilisée pour des arrestations de juifs. Elle en sortira heureusement vivante, mais aura un choc lorsqu’elle le verra à la télévision en 1970, parler tranquillement de maisons hantées.

Lors de la guerre la position d’Emile Tizané est controversée. Il aurait eu  des contacts avec des chefs résistants en 1942 et aurait emprisonné 5 soldats allemands. En même temps, il eut des correspondants douteux, comme le Docteur Carrel, dont la renommée ne l’empêchera pas d’avoir des penchants antisémites. Voilà, débrouillez vous avec ça pour vous faire votre propre avis, ou encore mieux, lisez le livre.

Pour conclure, c’est un ouvrage très complet qui offre en bonus de nombreuses connaissances sur l’histoire du paranormal, ce qui n’est pas négligeable.  Le seul défaut de ce livre : il est lourd, aux alentours des 2 kilos. Donc, si vous voulez le lire tranquillou dans les transports, vous oubliez. Son prix fait mal aux fesses aussi, mais bon tout se paye dans la vie. C’est ici que je vous quitte.

Bisous!

 

Source : « Les forces de l’ordre invisible », Philippe Baudouin, éditions « le murmure », 2016.

 

 

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